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Médias palestiniens francophones Reflet de liens forts

Médias palestiniens francophones Reflet de liens forts Par Hassan Balawi

 Diplomate palestinien, fondateur du programme francophone à la PBC, auteur de Gaza dans les coulisses du mouvement palestinien et ancien élève de l’ENA

Depuis l’émergence du mouvement national palestinien contemporain incarné par l’OLP en 1964, avec ses différentes organisations de résistance, les organes de l’information ont occupé une place importante dans les stratégies nationale, arabe et internationale en termes de mobilisation et de présence sur le terrain.

La naissance d’une presse palestinienne francophone s’inscrit dans un  contexte d’évolution des relations entre la France et l’OLP qui cherchait à s’introduire en Europe occidentale et notamment en France, en plus de ses liens avec l’Union Soviétique et les pays de l’Est.

Tradition de résistance

Les dirigeants de l’OLP étaient sensibles à la position de la France, notamment à l’attitude  du Général de Gaulle contre l’occupation israélienne de 1967 et à la rencontre de son représentant avec Yasser Arafat chef de la résistance palestinienne en Jordanie en 1968.
La  bataille d’Al Karamah en mars 1968 (village jordanien frontalier avec la Palestine) où la résistance palestinienne avait marqué une première victoire symbolique contre l’armée israélienne, a été une étape importante de passage pour le Mouvement Fatah, d’une organisation structurée de guérilla, à un large mouvement populaire attirant non seulement les masses palestiniennes et arabes, mais aussi des intellectuels et militants venus du monde entier, notamment de l’Europe qui vivaient les tempêtes de la révolution de mai 1968 à Paris et  voyaient dans la révolution palestinienne, un nouvel idéal de libération nationale, similaire à celui du Vietnam, de Cuba et de l’Algérie.
C’est ainsi qu’au lendemain de cette bataille, le département de l’information du mouvement Fatah,  présidé à l’époque par Kamal Idwan, membre du comité central du mouvement (assassiné en avril 1973 à Beyrouth , avec deux autres hauts dirigeants), a édité à Amman, un journal quotidien intitulé
Fatah. Ce journal donna naissance à trois  bulletins hebdomadaires portant le même nom, l’un en anglais, l’autre en français et le dernier en italien.

L’équipe s’occupait, en étroite liaison avec Amman,   de la rédaction et de la distribution de ces trois publications depuis Beyrouth. Cette équipe était dirigée par un professeur palestinien, originaire de Haïfa, enseignant les médias à l’université américaine. Il s’appelait Fawaz Najeih et travaillait avec le responsable du bureau du Fatah pour l’information, Lamiie Qabarji qui était en même temps un des dirigeants de mouvement au Liban avant l’arrivée de la direction de l’OLP.

Le bulletin du Fatah en français était rédigé par une jeune étudiante palestinienne de Jérusalem, une certaine Leila Shahid avec des contributions d’étudiants palestiniens  et libanais des universités libanaises tels que Camille Mansour et Shawki Armali (ancien représentant de l’OLP à Bruxelles). Le bulletin était distribué aux ambassades et aux journalistes francophones à Beyrouth, et envoyé par la poste en France et dans les pays francophones.

L’idéalisme révolutionnaire

En parallèle et depuis Alger – qui était la première capitale à permettre l’ouverture d’un bureau du Fatah en 1962 – Yasser Arafat et Khalil El Wazir (Abou Jihad) décidèrent avec l’aide des autorités algériennes, l’envoie en 1968,  d’un représentant de la révolution palestinienne en Europe , à partir de Paris. Il s’agissait de Mohamed Abu Mezar qui deviendra plus tard le premier responsable des relations extérieures du Fatah. Ce dernier entreprit des contacts avec les organisations politiques et les syndicats français mais aussi les structures des travailleurs et étudiants arabes.
Un an plus tard, c’est Mahmoud Hamchari, venant aussi d’Alger, qui prit le relais,  mit en place le comité du Fatah en France, composé des militants arabes et palestiniens. Ce comité organisa une structure politique pour le Fatah dans toute la France mais aussi en Belgique, connue sous le nom de
section française du Fatah.
Dès son arrivée, Mahmoud Hamchari se rapprocha des organisations qui œuvraient pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien ; parmi elles, l’Association de Solidarité Franco-Arabe ( l’ASFA ) fondée, en 1967  par Louis Terrenoire, ancien ministre du Général de Gaulle dont le secrétaire général était Lucien Bitterlin.

Le Fatah renforça ses liens  avec les associations de solidarité avec la Palestine qui  étaient présentes dans pratiquement toutes les grandes villes françaises. Leurs activités souvent intenses, réussirent à avoir une visibilité politique et médiatique qui se traduisit concrètement par la naissance des Comités de Soutien à la Révolution Palestinienne (CSRP), dits : Comités Palestine . Ceux-ci étaient  composés en majorité d’ouvriers et d’étudiants arabes qui furent à l’origine de la création du Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA) en 1972, en lien également  avec les maoïstes de la Gauche Prolétarienne (GP), issues de la révolution de mai 1968.

Fedayins

 Ces réseaux tissés incitèrent le  Fatah à lancer le bulletin  Fedayin , qui fit le lien avec les forces politiques et les syndicat, les journalistes, les cinéastes et les écrivains. Le Fatah invita un certain nombre des responsables politiques et intellectuels à se rendre dans les bases de la résistance palestinienne en Jordanie. C’est ainsi que l’écrivain Jean Genet écrivit de nombreux ouvrages sur la Palestine et que le cinéaste Jean-Luc Godard réalisa deux films, l’un intitulé Jusqu’à la victoire et l’autre Ici et ailleurs.
Après l’assassinat de Mahmoud Hamshari en 1972, Ezzedine El Kalak – premier directeur du
bureau de liaison et d’information de l’OLP en France  reconnu  par  les autorités françaises – reprit le flambeau en 1974 et continua à développer les contacts politiques avec le gouvernement français,  les associations  de solidarité avec la Palestine et les cinéastes.

Il participa à la création de l’Association Médicale Franco-Palestinienne (l’AMFP) et la mise en place le Cinéma Palestine qui regroupa des réalisateurs français ayant fait des films sur la Palestine. L’apport d’El Kalak en terme de médias fut important. Il rassembla les films documentaires sur la Palestine faits en France et fit venir des films militants palestiniens en collaboration avec ce groupe Cinéma Palestine, établi au Liban et présidé par Mustapha Abu Ali, les fit sous-titrer en arabe et les distribua en France et en Europe .
Les autres contributions d’El Kalak  furent la constitution d’une collection d’affiches palestiniennes connues plus tard sous son nom et la collecte importante d’anciennes cartes postales sur la Palestine historique, envoyées par des voyageurs européens à la fin du 19ème siècle.

Palestine

En 1975, l’Information extérieure  de l’OLP, présidée à l’époque par Mahmoud Labbadi également porte-parole du président Yasser Arafat, lança depuis Beyrouth le magazine Palestine en anglais, en français et en espagnol, jusqu’au départ de l’OLP du Liban en 1982.
Ce mensuel regroupait des militants et des étudiants  palestiniens  et  libanais  et  un  enseignant de l’Ile Maurice Issa Wachill. Ce magazine devint une référence pour les journalistes et les médias francophones et internationaux.
Après le départ  de l’OLP de Beyrouth, sa version francophone fut imprimée en Belgique, faute d’autorisation de publication en France. Une partie de l’équipe de Beyrouth s’installa à Bruxelles pendant près d’an.
Paris accueillit la publication de la prestigieuse
Revue des Eudes Palestiniennes, de l’Institut d’études palestiniennes, sous la direction d’Elias Sanbar.
La revue rapidement devenue la référence incontournable pour les chercheurs et spécialistes de la question palestinienne, regroupa une élite d’écrivains et de chercheurs palestiniens, arabes et français. Pour des raisons de difficultés financières, la régularité de parution fut aléatoire sous la direction de Farouk-Merdem Bek.
A Tunis, dans les locaux de l’Information Unifiée, le magazine 
Palestine  fut de nouveau publié en 1989 en français en plus de l’anglais et de l’espagnol, sous la direction d’Ali Hussein, actuel rédacteur en chef de l’agence de presse palestinienne  WAFA et président de la section palestinienne de l’Union Internationale de la Presse Francophone.
A partir de 1991, j’ai moi-même publié  au sein de l’Information Unifiée, la 
Lettre de Palestine, dans un format plus réduit.
De retour en Palestine, le jeune Ministère de l’Information reprit en 1995 la publication du bulletin Lettre de Palestine, diffusé auprès d’un public francophone de plus en plus large en Palestine et envoyé dans les pays francophones.

Son et image francophones à la  PBC 

Le 9 janvier 1996, j’ai lancé à Gaza, le programme francophone à la télévision palestinienne, intitulé Palestine-Info  et diffusé dans un premier temps trois fois par semaine et centré sur les informations.

L’équipe d’abord composée de bénévoles francophones palestiniens et algériens, sans formation journalistique, acquit une expérience sur le terrain et fut salariée un an plus tard. 

Le contenu du journal se diversifia rapidement. L’actualité nationale devint internationale et s’enrichit de reportages sur la vie culturelle et sociale. La Francophonie dans ses diverses manifestations a occupé une place importante dans Palestine-Info. Canal France International avait offert à la télévision palestinienne un décodeur permettant de recevoir tous les jours un bulletin d’information en français, des images sans logo, des documentaires et des programmes de variétés, apport essentiel au profit de l’ensemble des téléspectateurs car certains sujets étaient doublés ou sous-titrés en arabe. Le programme francophone permit aussi de renforcer les liens de la PBC avec des institutions médiatiques euro-méditerranéennes, telles que la CMCA et la COPEAM.

C’est ainsi que l’équipe de Palestine-Info avait coordonné une série de co-productions entre plusieurs télévisions étrangères et la télévision palestinienne. C’est aussi l’équipe francophone qui assura des projets importants pour la télévision palestinienne, tels que le CAPMED pour la conservation des archives audio-visuelles dans tout le bassin méditerranéen.

La transmission par la chaîne satellitaire palestinienne des ces programmes  a contribué  également à donner une image positive et dynamique de la Palestine.

La francophonie sur les ondes palestiniennes

La langue de Molière a fait son chemin dans les radios palestiniennes, publiques et privées. C’est ainsi que Fatima Nasser, journaliste algérienne, a fondé en mars 1996 le programme francophone à la radio publique Voix de Palestine. Une équipe de trois personnes préparait un programme d’une demi-heure quotidienne sur l’actualité avec une revue de presse, un reportage sur le patrimoine palestinien et un programme de variétés.

A Naplouse, une enseignante française, Isabelle Auras, a lancé à l’université An-Najah un programme mensuel, transmis via la Toile, en France. Ce programme avait contribué à l’amélioration du niveau en français des  étudiants. 

A Hébron,  l’Association d’Echanges Culturels Hébron-France diffusait, sous la direction  de Chantal Abu  Eisheh,  sur la radio d’Hébron,  un programme bilingue bihebdomadaire Regards Croisés, avec une revue de presse, des interviews, des sujets de société et un programme de variétés.

Mais le français était aussi la passion des élèves palestiniens qui apprenaient le français dans les écoles publiques palestiniennes. Démarré en 2005 sous la direction de Nathalie Pépiot, coordinatrice de l’enseignement du français à Gaza, le magazine Crayon palestinien fut publié un temps à trois mille exemplaires, créé par et pour les élèves, il permit l’installation d’une graine de francophonie dans un terreau journalistique. Le Comité général de l’information  a édité à partir de 2002, une page en langue française traitant de l’actualité et destinée aux journalistes et aux ONG. 

Elle était rédigée par deux fonctionnaires sans formation, aidés de façon ponctuelle par des bénévoles internationaux de passage. Le comité a été intégré à la sortie de Gaza en 2009 à l’agence de presse et d’information palestinienne Wafa.
Celle-ci et l’agence de Presse PNN de Bethléem, mettent en ligne aujourd’hui une page en langue française.
Enfin, une  émission francophone a vu récemment le jour sur une radio de Gaza, sous la direction de Ziad Medoukh professeur de français. Elle est destinée aux Palestiniens francophones de Gaza et de la Cisjordanie.

De ce vif  intérêt pour la francophonie est née en 2001 la section palestinienne de l’Union Internationale de la Presse Francophone (dont le siège se trouve à Paris). Elle regroupe l’essentiel des journalistes palestiniens francophones.

Nous avons édité depuis Gaza un bulletin intitulé Francophonie Palestinienne avec le concours d’une journaliste, Brigitte Faoder conseillère à la rédaction. Nous avons également créé un club de cinéma et avons organisé plusieurs festivals de cinéma à Gaza.

Nous avons par ailleurs représenté la Palestine dans plusieurs rencontres et assises de la presse francophone dans le monde.

En juin 2006, La section palestinienne de l’UPF avait organisé, à Gaza,  un atelier sur les médias palestiniens francophones, en présence du consul général de France à Jérusalem: Régis Koetschet et un nombre important de responsables des médias palestiniens. Les intervenants notamment enseignants, avaient souligné à cette occasion l’importance des médias palestiniens francophones pour les étudiants et élèves qui apprenaient le français puisqu’ils représentaient 80 % de l’audience potentielle et permettaient de donner une visibilité à leur travail par une couverture médiatique stimulante, vecteur important de l’essor de la francophonie.  

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