Hebron’s Leather & Shoes Cluster: une réussite exemplaire !
Ou le renforcement de la compétitivité du secteur privé via la structuration de la filière
Comment sauver un secteur en plein marasme ? Comment lutter contre les dix-huit millions de paires de chaussures chinoises importées à moins d’un dollar l’une (source : CCI[2] 2016) et permettre à ce savoir faire ancestral hébronite de créer de nouveau de la richesse qui puisse nourrir dignement les familles vivant du cuir et de la fabrication des chaussures ?
L’approche protectionniste un temps envisagée – non seulement sans effet mais anti productive (cf : Hébron dans la tourmente économique venue de l’Empire du Milieu) – a bien vite été abandonnée.
La seule alternative était donc d’être meilleur ! Le ministère de l’économie en relation avec la fédération des chambres de commerce a choisi un bailleur – l’AFD[3] – dont l’expertise cluster permettait une nouvelle approche. Cinq clusters[4] ont ainsi été crées dont celui de la filière cuir et chaussures à Hébron. Les CCI ont joué un rôle important et continuent leur aide logistique, financière et morale.
L’approche cluster avait pour ambition de surmonter deux obstacles majeurs : l’isolement et le manque de structuration des organisations professionnelles, et le développement du travail participatif et collaboratif des acteurs publics et privés concernés.
Le cluster cuir et chaussures a débuté avec un groupe de 18 PME en 2013. Depuis il s’est élargi à plus de cent membres actifs du secteur comme les tanneurs, les fournisseurs de produits chimiques, les fournisseurs d’accessoires, les concepteurs, les fabricants de moules, les fabricants de semelles, et les fabricants de chaussures.
Ce projet était doublement novateur, d’abord parce que le cluster induisait en soi un travail de coopétition[5] de la part de ses acteurs, mais aussi parce que la méthodologie était fondée sur une approche participative ascendante, fruit de l’analyse d’une étude diagnostique des leaders du projet Mohammed Husein (animateur du cluster cuir et chaussures d’Hébron) et Mahmoud Abu-Amireh (chef d’équipe du projet de cluster de développement du secteur privé). Ils ne voulaient rien imposer mais convaincre les entrepreneurs de travailler ensemble.
C’était une petite révolution dans ce pays où le travail coopératif, l’échange d’information et la collaboration à tous les niveaux, que ce soit dans le secteur privé ou public suscitent des réticences et des résistances lourdes, où chacun s’accroche à son pré carré de peur qu’il lui soit retiré ou volé et où l’entreprise concurrente est l’ennemi potentiel.
L’approche a donc été très progressive, il fallait que ces petites entreprises prennent conscience qu’en travaillant ensemble elles seraient plus fortes.
Il reste 240 entreprises qui travaillent dans le secteur dont la majorité est de taille très modeste, employant moins de cinq ouvriers. Après une vaste campagne de sensibilisation en 2012, dix-huit entreprises avaient été sélectionnées et ont assisté au premier atelier de gestion, puis vingt à celui de design et ont partagé des stands lors d’expositions. Les petits patrons constataient qu’ils avaient ainsi une meilleure visibilité au moindre coût, ils y trouvaient donc un réel intérêt personnel. La « pompe était amorcée !». De nombreux autres ateliers ont suivi ainsi que l’ouverture d’un magasin en juin 2016 : le Hebron Shoe Shop qui répondait à un besoin majeur. L’un des problèmes principaux identifiés se situait en bout de chaine. Les boutiques de chaussures avaient plus intérêt à vendre des produits chinois que la production locale, leurs marges étant beaucoup plus importantes.
Le projet avait trois composantes principales : 1) une composante d’assistance technique pour la mise en place, la gestion et l’animation des clusters ; 2) une composante de soutien en cofinancement aux projets collaboratifs menés par les clusters sur différents aspects (marché, organisation, stratégie industrielle, développement des compétences, innovation, etc.) ; 3) une composante de renforcement des dialogues sectoriels, du dialogue public-privé et soutien au processus d’appropriation et d’adaptation règlementaires.
L’approche cluster offrait de multiples avantages et progrès en jouant un rôle socio-économique essentiel pour le développement de la filière :1) une meilleure qualité et compétitivité du produit au niveau local, national et international ; 2) une attractivité des investisseurs locaux et étrangers ; 3) une exportation croissante ; 4) une adéquation entre les formations professionnelles et les besoins du marché du travail ; 5) une stimulation les taux de croissance économique et sociale ; 6) la réduction du chômage grâce à de nouvelles opportunités d’emploi.
Petit à petit les entreprises ont compris que grâce aux clusters ils pouvaient développer et stimuler l’innovation ; un des freins à l’achat était que les chaussures étaient considérées par les clients hébronites comme passées de mode. Ils pouvaient également réduire les coûts de production par une meilleure gestion apprise lors des formations, obtenir des prix de matière premières réduits en groupant les achats, augmenter leur efficacité et leur compétitivité par une meilleure visibilité collective, ce qui leur permettait d’agrandir la part de marché au niveau local et international, et donc d’augmenter leurs profits.
Les cinq millions d’euros offerts par l’AFD ont permis de couvrir 80% des activités, les 20% restants étaient payés par les entreprises qui comprenaient leur intérêt.
Mohammed Husein et Mahmoud Abu-Amireh, les deux artisans remarquables de cette réussite en constante évolution ont dû surmonter deux difficultés majeures au début : ne pas se laisser phagocyter par les institutions (risque toujours présent) et faire contribuer même modestement les entreprises.
Le magasin qui a une bonne visibilité – et vend la production de quinze fabricants – est apprécié de la clientèle locale et étrangère de passage. A capacité égale, le magasin peut se prévaloir d’un chiffre d’affaire supérieur à celui de ses concurrents. De juin 2016 à juin 2017 la boutique a vendu vingt mille paires de chaussures. Deux shekels sont prélevés sur chaque vente pour permettre d’alimenter un fond de développement du cluster. La pérennité du projet se situe à deux niveaux : l’animation et la vente (production). L’animation est autosuffisante grâce à ces deux shekels et la cotisation des membres. La production/vente nécessite encore des fonds étrangers comme UK aid, la coopération italienne, le UNDP, etc. Un magasin a ouvert à Amman et un site de vente en ligne est en préparation[6] avec l’aide de PMDP UK[7]. Le cluster s’ouvre aux marchés russe et kazakh et s’apprête à conclure un accord à Istanbul.
Mais aussi et peut-être surtout le projet cluster a permis d’élaborer dans une approche holistique, un centre de développement de ce secteur économique : le Leather & Footwear Products Development Center (LFPD). Ce centre à quatre composantes. L’unité design permet de développer des modèles innovants, créer les prototypes et les moules grâce aux machines 3D (longtemps retenues par les douanes israéliennes ce qui en a retardé la mise en œuvre). L’unité de tests a vocation à limiter les importations chinoises aux chaussures non toxiques et de qualité minimale, et de certifier à terme la production locale par la norme ISO 17/25. L’unité de formation en collaboration avec l’école Polytechnique offre une formation en alternance diplômante d’un an. Les sept premiers diplômés – dont une fille- sortent en mai. L’unité d’information quant à elle a vocation à donner toutes les informations nationales et internationales sur ce secteur économique. UNIDO[8] vient d’investir un demi million de dollars dans le projet.
A l’échelle nationale trente-trois clusters potentiels ont été identifiés. Le coût de chacun est estimé à 800 mille euros. L’équipe cherche de nouveaux bailleurs, l’AFD n’ayant pas poursuivi l’idée première d’une seconde phase. Tant d’argent est gaspillé par les bailleurs dans des projets sans lendemain ! Les clusters sont un vrai gage de développement économique. Souhaitons que ce projet pilote puisse essaimer dans tout le pays !
[1] Les clusters (traduit en français par grappe industrielle ou pôle de compétitivité sont des concentrations d’entreprises constitués majoritairement de PME et de TPE, fortement ancrés localement, souvent sur un même créneau de production et souvent à une même filière. Dans une économie mondialisée, les clusters permettent, en fédérant les énergies et les compétences, de conquérir des marchés qui n’auraient pas été accessibles par des entreprises seules.
[2] Chambre de commerce et d’industrie
[3] Agence Française de Développement
[4] Cluster tourisme et artisanat d’art à Jérusalem Cluster meubles à Salfit Cluster cuir à Hébron Cluster marbre à Bethléem & Hébron Nord Cluster culture du Palmier à Gaza.
[5] La coopétition est une collaboration ou une coopération de circonstance ou d’opportunité entre différents acteurs économiques qui, par ailleurs, sont des concurrents (“competitors”, en anglais). Ce mot « coopétition » est un mélange des deux mots coopération et de compétition (concurrence).
[6] Myshoes.ps
[7] The Palestinian Market Development Programme (PMDP), is funded by UK Department for International Development (DFID) and European Union (EU) in- cooperation with the Ministry of National Economy and .implemented by DAI Europe over a period of five years in the OPT, with offices both in Ramallah and Gaza.
[8] (Organisation des N.U. pour le Développement Industriel)